La possession de Hannah Grace (2018)

Written by Vance on July 17, 2019

En choisissant en France un titre axé sur l’acte le plus symbolique et controversé de l’Eglise catholique romaine, le film de Diederik van Rooijen marche sur les traces de productions souvent ambitieuses mais pas toujours pertinentes : après tout, le premier du nom par William Friedkin a marqué de manière indélébile des générations de spectateurs et laissé une empreinte redoutable sur le genre en lui-même en tant que mètre-étalon terrifiant. Ses suites et succédanés, ne parvenant jamais à ne serait-ce qu’égaler sa puissance expressive et l’acuité de son message, ont contribué malgré elles à plonger les films d’exorcisme dans une sous-rubrique risible à mille lieues du réel potentiel de ce que peut receler cet éprouvant acte de foi à l’encontre du Mal.

Pourtant, en 2005, Scott Derrickson reprenait courageusement le flambeau et émettait une proposition de cinéma intelligente, utilisant les codes des films de procès tout en conservant, de manière ponctuelle, l’impact habituel des scènes horrifiques liées à la possession satanique, avérée ou non. En altérant subtilement le centre de gravité (le but n’étant plus de nous faire peur mais de nous faire douter), il s’écartait des ersatz de l’Exorciste et jetait un petit pavé dans la mare. Sans être un chef-d’œuvre, l’Exorcisme d’Emily Rose valait largement le coup d’œil et démontrait qu’on pouvait s’octroyer le droit de réaliser un film d’horreur sans pour autant abreuver le spectateur de jump scares toutes les dix minutes, assaisonnés de giclées d’hémoglobine et de tortures plus ou moins raffinées.

Depuis, le genre horrifique a su trouver une seconde jeunesse et délivrer chaque année quelques productions plus ou moins calibrées dans lesquelles certaines réussissent à se distinguer par leur intrigue, leur point de vue ou leur mise en scène (It follows par exemple). Le film qui nous intéresse tente de faire partie de ces singularités en se démarquant de la vague Conjuring/Insidious et choisit astucieusement un cadre à la fois familier et mal connu : celui de la morgue. Les producteurs se sont ainsi penchés sur le cas d’une jeune femme enfermée dans ce lieu si particulier et imaginé ce qui se passerait. Ne restait plus qu’au scénariste de développer l’histoire, tandis que l’équipe artistique tâchait de trouver les lieux et comédiens adaptés à leur projet.

L’histoire pouvait dès lors prendre forme : d’un côté un exorcisme raté ayant entraîné la mort de plusieurs des participants, et celle de la pauvrette qu’un prêtre tentait de libérer de l’emprise du démon ; de l’autre, la rédemption d’une fliquette traumatisée par le décès de son collègue lors d’une interpellation ayant mal tourné. Cette dernière, sur les conseils d’une amie ayant vécu des choses similaires (en laquelle on a l’agréable surprise de retrouver la sémillante Stana Katic dans un rôle malheureusement totalement transparent), décide de prendre un poste de veilleuse de nuit dans une morgue. La réalisation s’attarde alors, pendant que son nouveau patron lui présente les directives de sa fonction, sur ces lieux qui serviront de cadre presque exclusif au déroulement de l’intrigue : la chambre mortuaire, le couloir de réception, les tables d’examen, la guérite des membres de la sécurité un peu farceurs, les lieux d’aisance fonctionnels. Des salles froides, vides, éclairées uniquement lorsque des détecteurs distinguent la présence de quelqu’un. On se demande en quoi cet endroit pourrait permettre à l’athlétique Megan de reprendre son destin en mains. Mais voilà que survient son premier « client » et elle doit déjà appliquer les procédures strictes qu’on vient à peine de lui enseigner…

Lorsqu’on lui présente le cadavre d’une jeune fille tailladée et à moitié brûlé, les choses vont très vite s’enchaîner : d’abord, un SDF tente d’entrer dans le bâtiment, mais Megan garde la tête froide et le lui refuse ; elle saura ensuite tenir tête à cet illuminé cherchant à tout prix à se débarrasser de ce cadavre, quitte à faire preuve de violence, de quoi faire réfléchir Megan qui n’en aura pas le temps car une série de petits tracas va l’en empêcher : l’appareil de prises de vue tombe en panne, le scannage des empreintes connaît des ratés, la porte de la chambre froide ne veut plus se refermer… et certaines blessures du cadavre commencent à se guérir toutes seules ! Hummm… mais que se passe-t-il donc ?

Un film qui va s’évertuer à rester concentré sur son sujet, visant à l’inévitable et ultime confrontation entre la policière cherchant un nouveau sens à sa vie décomposée et ce qui se terre dans le corps d’Hannah Grace et ne demande qu’à se déchaîner. Cette dernière est incarnée par une jeune danseuse dont les performances physiques, notamment les contorsions, ont été particulièrement utiles au projet. Le DVD propose d’ailleurs un sympathique documentaire montrant le travail accompli par les maquilleurs sur sa peau, travail que le réalisateur sait utiliser avec discernement, bien aidé par son directeur photo qui lui permet de jouer sur les différentes tonalités froides proposées par cette morgue et les bâtiments réels ayant servi de cadre (l’hôtel de ville de Boston et le bâtiment voisin, d’une architecture singulière). Quant à Megan, qui devra courir, se battre, se cacher, elle jouit des qualités athlétiques indéniables de Shay Mitchell, l’une des héroïnes de Pretty Little Liars.

L’ensemble se suit sans ennui et, nonobstant quelques rares sursauts, proposera surtout un spectacle tendu vers une conclusion sanglante, entrecoupé de passages flirtant avec le fantastique. Contrairement au film de Scott Derrickson, le but ici n’est pas de déterminer s’il y a effectivement un cas de possession démoniaque, mais comment on pourra débarrasser le monde de l’emprise de cette entité maléfique. Pour les amateurs, il est indubitablement dans les bons films à conseiller dans le genre, bien qu’éloigné de l’ingéniosité et de la maestria d’un Get out ou d’un Sans un bruit.